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Le vivant - Cours de philosophie

Le vivant

 

Les enjeux de la notion – une première définition

 

            Le vivant peut être défini comme le règne des êtres qui possèdent les caractéristiques de la vie. Mais qu’est-ce que la vie ? De manière sommaire, on dira que c’est l’ensemble des fonctions d’un corps et des phénomènes qui s’y déroulent depuis la naissance jusqu’à la mort. Cependant, comment rendre compte de la diversité des organismes vivants ? Comment expliquer l’évolution des espèces ? Quelles sont les critères de distinction des être vivants et des choses inanimées ?  Ces questions exigent de nous que nous pénétrions plus en avant dans les sciences du vivant. Nous pensons bien évidemment en premier lieu à la biologie, mais il est indispensable de ne pas oublier que cette discipline est récente ; on peut en effet en situer la date de naissance à la fin du 18ème siècle. Avant elle, se sont succédées de multiples conceptions du vivant : finaliste, mécaniste et vitaliste. Ces conceptions, que certains jugeront peut-être ascientifiques, n’en demeurent pas moins sources de riches enseignements. Il est cependant exact d’affirmer que c’est à partir du 18ème siècle que le concept de vie va jouer un rôle essentiel dans l’ordre du savoir, en dépassant le strict cadre des sciences naturelles ; se développent alors ce qu’on a appelé les philosophies de la vie, dans lesquelles la vie se donne comme fondement de l’expérience et de la connaissance, ébranlant les anciennes catégories philosophiques.  

La conception aristotélicienne du vivant

 

« Il faut donc nécessairement que l’âme soit substance comme forme d’un corps naturel qui a potentiellement la vie. Or, cette substance est réalisation. Donc, elle est la réalisation d’un tel corps. (…) Et si l’on a besoin d’une formule qui s’applique en commun à toute âme, ce sera : la réalisation première d’un corps naturel pourvu d’organes. » Aristote, De l’âme.

 

Aristote a consacré une part très importante de son œuvre à la connaissance du vivant, compilant les multiples observations relatives aux différents animaux et établissant un système de classification des espèces qui demeure d’usage jusqu’au 18ème siècle. C’est dans De l’âme qu’il rend compte de la nature du vivant. En effet, selon lui, tout vivant possède une âme (anima) qui anime le corps. L’âme est la forme de cette matière qu’est le corps. En un sens, a lieu quelque chose d’équivalent à ce qui se passe dans le travail du sculpteur imposant une forme à la pierre dans la production d’une statue. Cependant, dans le cas de l’être vivant, la puissance de production et d’organisation est interne : l’organisme vivant se développe, croît de lui-même. Aristote distingue cependant plusieurs âmes au sein des vivants. Il y a tout d’abord l’âme végétative qui rend possible la génération, l’alimentation et la croissance ; vient ensuite l’âme sensitive, condition de la sensation et du mouvement (en quoi elle est aussi âme locomotrice) ; enfin, l’âme intellective qui préside à la pensée. Les plantes ne possèdent que l’âme végétative ; les animaux possèdent cette dernière ainsi que l’âme sensitive ; l’homme enfin possède les deux précédentes ainsi que l’âme intellective.

 

            Aristote défend une conception finaliste des phénomènes du vivant. S’opposant à Empédocle, il nie toute présence du hasard dans l’ordre naturel. Selon lui, aux origines de la vie animale, une multiplicité d’organismes distincts dans leur forme seraient nées, certaines disparaissant presque immédiatement, les autres survivant jusqu’à nos jours (du moins ceux d’Aristote). Cette perpétuation des espèces ainsi que le fait que les animaux engendrent toujours des animaux de la même espèce suffit à démontrer que la nature obéit à un plan, celui-ci permettant notamment d’expliquer la hiérarchie des êtres en fonction de leur degré de complexité, l’homme occupant le sommet de cette hiérarchie. Nous allons voir dans quelques instants que cette conception sera profondément critiquée à l’âge classique mais il faut tout de même noter que des défenses du finalisme se développeront également, notamment chez Leibniz et Malebranche notamment, à partir d’arguments fondés sur la création du monde par Dieu.

Penser le vivant à l’âge classique

 

« ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. » Descartes, Discours de la méthode.

 

            Au 17ème siècle, notamment avec les travaux de Galilée et Descartes, se développe la pensée mécaniste, opposée au finalisme. Selon cette pensée, la nature s’explique en fonction de deux données : la matière et le mouvement. De ceux-ci sont dégagées les lois mécaniques qui expliquent les régularités des phénomènes naturels et rendent par conséquent compte de l’ordre du monde. La nature est ainsi conçue comme une gigantesque machine. Descartes étend cette conception aux êtres vivants (à l’exception de l’homme en tant qu’il n’est pas seulement substance matérielle, corps, mais aussi substance pensante, âme). Il propose ainsi la théorie de l’animal-machine supposant par là que les animaux n’ont ni conscience, ni sensations. Certes, les animaux sont des machines particulièrement complexes, mais il n’en demeure pas moins que ce qu’on interprète comme des douleurs de l’animal ne sont en réalité que des dysfonctionnements dans les rouages de l’automate. Pour illustrer cette idée, dont il faut signaler qu’elle ne repose sur aucune expérimentation de la part de Descartes, on peut se référer à cette anecdote concernant Malebranche : ce dernier battait son chien en affirmant que les cris de celui-ci n’étaient que l’effet purement mécanique des coups sur la machine (Merleau-Ponty précise pourtant avec humour que si Malebranche se réjouissait de ce spectacle, c’est qu’il savait que l’animal éprouvait de la douleur). Le pas qui interdisait à Descartes d’étendre la théorie mécaniste à l’homme est franchi par La Mettrie qui défend la thèse de l’homme-machine. Pour lui, il n’y a pas de différence ontologique entre la substance matérielle et la substance pensante ; la seule différence est qualitative et ce que l’on attribue à l’âme peut être ramené à des modifications de la matière.

 

            La thèse mécaniste n’est pas sans poser des difficultés et cela, déjà Descartes. Outre le fait qu’est réduite à néant l’opposition entre les êtres animés et inanimés, on peut se demander ce qui a mis en marche cette immense machine. Descartes répond que c’est Dieu qui a créé le monde, qui a voulu lui conférer cet ordre. Mais ainsi, il réintroduit une certaine forme de finalisme dans la nature. Kant critiquera quant à lui le mécanisme affirmant que l’entendement de l’homme ne peut concevoir les êtres vivants sans leur attribuer sans les penser sous le concept de finalité, sans penser que le tout de l’organisme est le but de ses parties. On peut également se référer à la réaction vitaliste contre le mécanisme. Le vitalisme, qui se réclame d’Hippocrate, est la conception selon laquelle tout organisme vivant est doué d’une force vitale, qui, dit Barthez, est le principe ou la cause qui « produit tous les phénomènes de la vie dans le corps ». On voit que le vitalisme pose une entité  (un principe, une cause, une force) dont la nature demeure imprécise et l’existence non démontrable. C’est pourquoi malgré l’attrait que pouvait exercer une telle théorie exprimant cette « vitalité » qui paraît irréductible, le vitalisme ne pouvait qu’être contesté dans sa dimension scientifique.

La naissance de la biologie

 

« Tous ces résultats (…) sont la conséquence de la lutte pour l’existence. C’est grâce à cette lutte que les variations, si minimes qu’elles soient par ailleurs, et quelle qu’en soit la cause déterminante, tendent à assurer la conservation des individus qui les présentent, et les transmettent à leurs descendants, pour peu qu’elles soient à quelques degrés utiles et avantageuses à ces membres de l’espèce, dans leur rapport si complexes avec les autres êtres organisés, et les conditions physiques dans lesquelles ils se trouvent. Leur descendance aura ainsi plus de chances de réussite ; car, sur la quantité d’individus d’une espèce quelconque qui naissent périodiquement, il n’en est qu’un petit nombre qui puissent survivre. J’ai donné à ce principe, en vertu duquel toute variation avantageuse tend à être conservée, le nom de sélection naturelle, pour indiquer ses rapports avec la sélection appliquée à l’homme. » Darwin, L’origine des espèces.

 

            Intéressons-nous à présent à la connaissance du vivant telle qu’elle se développe au 18ème siècle. Linné propose une nomenclature binomiale permettant de nommer l’ensemble des espèces des règnes animal et végétal. Le nom de chaque espèce, donné en latin, est composé d’un genre et d’une épithète spécifique exprimant une caractéristique spécifique de l’espèce. Carolus Linnaeus est un exemple d’un tel binôme. Mais avec Linné, on est encore loin de la biologie telle que nous la connaissons dans la mesure où pour lui, la nature, création divine, n’évolue pas, ne varie pas. Le système de Linné est fixiste. Buffon quant à lui ne s’intéresse pas tant à la classification des espèces qu’à l’observation, la description, l’étude des évolutions et adaptations. Notons de plus qu’il essaie d’expliquer la vie à partir de la chimie, en affirmant que les molécules organiques se forment à partir des molécules inorganiques en fonction de certaines conditions de chaleur et de lumière. Lamarck enfin occupe une place particulière en tant qu’il annonce les thèses évolutionnistes de Darwin. En effet, il pose que les espèces animales les plus complexes sont le fruit de développements successifs à partir des espèces les plus simples. De plus, il élabore une théorie de l’hérédité selon laquelle les adaptations d’un vivant mobilisent plus ou moins ces fonctions organiques, ces dernières connaissant dès lors des modifications qui seront héréditées par ses descendants.

 

            Darwin, à la suite d’un voyage scientifique autour du monde de près de 5 ans, durant lequel il recueille une quantité énorme d’observations sur le vivant, développe une théorie évolutionniste se démarquant très nettement de celle de Lamarck. Pour Darwin, la nature est le lieu d’une lutte pour la vie : ce n’est pas seulement que les espèces les plus « faibles » disparaissent mais aussi et surtout que les plus « fortes », les plus adaptées, les plus aptes à assurer leur survie, sont par là même privilégiées dans leur reproduction. Pour Darwin, le milieu est un facteur de sélection. Il exerce une sélection naturelle (opposée à la sélection artificielle réalisée par les éleveurs) qui est fonction de l’aptitude d’un être vivant à s’emparer de ses proies, à se défendre des prédateurs, à résister aux maladies, etc. Darwin affirme de plus que l’évolution des espèces a pour cause l’apparition « hasardeuse » de différences au niveau des individus, différences qui, si elles s’avèrent avantageuses, peuvent être transmises par reproduction, hérédités, et intégrer les propriétés de l’espèce. À la différence de Lamarck, Darwin pense donc que l’évolution n’est pas simplement le résultat d’une adaptation aux contraintes du milieu mais le fruit du hasard, fruit qui ne se converse que s’il résiste à la sélection. Rappelons enfin que les thèses darwiniennes qui rejettent toute forme de finalisme et de providence divine, qui nie la création telle que révélée dans la Bible, suscita de nombreuses oppositions des théologiens. Notons également, que sous le nom de darwinisme social, elle a inspiré une théorie posant que les sociétés et leur morale sont elles aussi soumises à des processus de sélection, théorie qui, le plus souvent, s’est transformée en légitimation de l’inégalité sociale.

 

            La biologie ne se limite cependant pas à la théorie de l’évolution. La théorie cellulaire est à ce titre essentielle comme facteur d’unification des connaissances du vivant en ce qu’elle découvre à la racine de l’existence de tous les êtres vivants, la présence d’un constituant ultime (la cellule). Elle parfait également la connaissance de la relation qu’entretiennent les organismes avec leur milieu. Quant à la génétique, cette discipline rend compte du principe de la transmission héréditaire, qui demeurait encore obscure chez Darwin. De plus, elle offre la possibilité d’une maîtrise des facteurs de la reproduction. C’est ici que ne sauraient manquer de se poser des questions éthiques. En effet, la génétique laisse envisager la « création » par l’homme d’un individu dont on aurait choisi le patrimoine génétique. La sélection naturelle pourrait alors devenir sélection humaine. Cette sélection pourrait bien évidemment favoriser l’éradication de certains handicaps, de certaines inadaptations au milieu. Mais qui aura le pouvoir d’établir la frontière de ce qu’il faut conserver et de ce qui doit disparaître ? Ne risque-t-on pas de voir réapparaître certaines volontés d’ « amélioration » de l’espèce humaine qui ne seraient rien d’autre qu’une sélection exercée par un groupe dominant.

 

La connaissance de la vie

 

« Voilà donc la grande différence qui distingue la mort de vieillesse d’avec celle qui est l’effet d’un coup subit ; c’est que, dans l’une, la vie commence à s’éteindre dans toutes les parties, et cesse ensuite dans le cœur : la mort exerce son empire de la circonférence au centre. Dans l’autre, la vie s’éteint dans le cœur, et ensuite dans toutes les parties : c’est du centre à la circonférence que la mort enchaîne ses phénomènes. » Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort.

 

            Parallèlement à la naissance de la biologie se développe un intérêt de plus en plus en marqué pour la détermination de ce qu’est la vie en son essence ainsi qu’une réflexion portée par les sciences du vivant sur elles-mêmes, sur la spécificité de leur objet, sur leur méthode, etc,. Foucault, dans une archéologie du savoir médical, affirme que le concept de vie ne devient objet d’investigations qu’à la fin du 18ème siècle au lieu de simplement désigner une différence spécifique entre les êtres animés et inanimés. Il voit dans Bichat le représentant majeur de ce renversement. Bichat s’oppose à l’emprunt en physiologie de concepts provenant de la physique ou de la chimie, en ne cessant d’affirmer l’irréductibilité des lois de la vie aux lois des êtres purement matériels. La physiologie doit briser ses liens avec la physique. Bichat propose cette célèbre définition de la vie comme « ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». Notons qu’on a souvent vu dans cette définition une profession de foi vitaliste. Mais Foucault affirme que si tel était le cas, elle serait proprement tautologique (la mort n’étant alors rien d’autre que la non-vie). Il faut au contraire, dit-il, poser que c’est depuis la perspective de la mort (en tant qu’expérience-limite) que se révèle la véritable essence de la vie.

 

            Quoi qu’il en soit la vie devient un objet d’investigation fondamental. La vie, écrit Comte, « suppose constamment la corrélation nécessaire de deux éléments indispensables, un organisme approprié et un milieu convenable ». La vie se définit par un processus d’action-réaction selon lequel le milieu modifie l’organisme, ce dernier modifiant à son tour le milieu. C’est la notion d’acte ou de fonction qui doit constituer le cœur de la biologie positive, en ce sens qu’elle est le « médium » de la réciprocité de l’organisme et du milieu. Cette corrélation ainsi que la fonction de reproduction constitue les conditions de la vie.

 

            Référons-nous à présent à Bernard, médecin-physiologiste du 19ème siècle et précurseur d’une épistémologie des sciences du vivant. En effet, il s’est intéressé de très près à la méthode de la connaissance du vivant, méthode qui n’est ni purement rationaliste, ni purement empiriste. La méthode expérimentale de Bernard se divise en trois phases :

-         l’observation : elle consiste à découvrir des phénomènes nouveaux en se prémunissant avant tout des erreurs, notamment en utilisant des instruments la rendant plus exacte et plus complète.

-         l’hypothèse : elle consiste dans la production d’une idée a priori (avant toute expérience) qui devra être soumise au contrôle des faits. Cette idée porte sur les causes des phénomènes.

-         l’expérimentation : elle consiste en l’établissement d’une expérience mettant à l’épreuve l’hypothèse, produisant des résultats permettant de la confirmer ou de l’infirmer. À la différence de l’observation, l’expérimentation se fait donc toujours en fonction d’une idée préalable. 

 

Citons enfin Canguilhem, épistémologue possédant une formation en médecine et en philosophie. Il défend une conception non linéaire de l’histoire des sciences et s’intéresse aux conditions d’apparition des savoirs, insistant sur l’importance des erreurs et obstacles dans la constitution d’une science. Concernant l’histoire des sciences du vivant, il met en lumière la profonde connexion qui s’y manifeste entre les développements théoriques, les avancées techniques, les questionnements philosophiques et les intérêts idéologiques.

Les philosophies de la vie

 

« la vie même est essentiellement appropriation, atteinte, conquête de ce qui est étranger et plus faible, oppression, dureté, imposition de ses formes propres, incorporation à tout le moins, dans les cas les plus tempérés, exploitation, - mais pourquoi toujours employer ces mots, empreints depuis des temps immémoriaux d’une intention de calomnier ? (…) L’exploitation n’appartient pas en propre à une société pervertie ou imparfaite et primitive : elle appartient en propre à l’essence du vivant, en tant que fonction organique fondamentale, elle est une conséquence de la volonté de puissance authentique, qui est justement volonté de vie. » Nietzsche, Par-delà bien et mal.

 

            À la fin du 19ème siècle se développent ce que l’on a appelé les philosophies de la vie, philosophies s’opposant tout à la fois à l’empirisme et à l’intellectualisme. Pour Schopenhauer, le vouloir-vivre est l’origine irrationnelle de toutes les forces actives présentes dans le monde. Ce qui est premier, c’est la volonté (la vie étant une objectivation de cette volonté qui échappe à la représentation), la multiplicité des phénomènes n’en étant que la manifestation. Les êtres vivants sont engagés dans une lutte pour la vie qui ne connaît pas de fin et qui ne répond à aucune transcendance divine (notons que Schopenhauer établit ses thèses avant la parution de L’origine des espèces de Darwin, ouvrage qui ne retiendra pas son attention). Le vouloir-vivre est d’une certaine manière le maître tyrannique de l’homme, ce dernier étant un esclave des désirs oscillant sans cesse entre la souffrance (conséquence d’un désir insatisfait) et l’ennui (qui suit un désir satisfait). Telle est la source du pessimisme de Schopenhauer. Remarquons que cette affirmation des puissances de la vie est indissociablement une négation du libre-arbitre.

 

            Nietzsche fut probablement le plus grand admirateur, mais aussi le critique le plus sévère, de Schopenhauer. Nietzsche s’oppose à l’idée darwinienne selon laquelle la vie se définirait avant tout par la conservation et l’adaptabilité. Il récuse par conséquent la réduction de la vie à ses interactions avec le milieu. La vie est volonté de puissance, elle est mouvement de croissance, d’expansion, de dépassement de soi. Elle n’est donc pas adaptation à une extériorité mais soumission, incorporation de l’extérieur. La vie s’approprie ce qui lui est extérieur, le conquiert, etc. En ce sens, une vie reposant sur l’économie, sur le simple maintien dans l’existence est nécessairement une vie déclinante. Cette réflexion sur la vie permet à Nietzsche de développer une profonde réflexion sur la civilisation. En effet, si la vie est expansion, cela signifie qu’elle est essentiellement un devenir. Or, la métaphysique et la morale ont toujours cherché des vérités universelles et éternelless et en ce sens, se sont présentées comme des négations de la vie, celle-ci étant pourtant la source de toutes choses, et donc de la métaphysique elle-même. La métaphysique est par conséquent le symptôme d’une vie malade. Nietzsche dénonce ainsi la calomnie dont ont été l’objet certains « vices », l’exploitation par exemple, dont il montre qu’elle n’est aucunement le propre d’une société pervertie mais une fonction organique fondamentale, une manifestation de la vie en tant que volonté de puissance.

 

            Dans une autre perspective, on peut se référer à Dilthey. Selon lui, les sciences de l’esprit, à la différence des sciences naturelles, se doivent de découvrir, de ressentir, de revivre la vie des divers mondes culturels qu’elles étudient. Le concept de vie ne se limite par conséquent en aucun cas au sens que lui confèrent les biologistes. Husserl quant à lui évoque le monde de la vie, c’est-à-dire le sol antéprédicatif des expériences vécues, ce qui précède tout jugement, toute réflexion, toute science et confère à ces derniers leur sens pour la vie. D’une manière quelque peu similaire, Scheler affirme que les valeurs humaines s’enracinent dans l’expérience première des émotions. Quant à Bergson, il conçoit la vie comme dépassement des médiations abstraites de la pensée conceptuelle et retour à la pensée intuitive. Notons pour finir que Heidegger émet une critique des philosophies de la vie, plus précisément de la conception selon laquelle l’homme serait un vivant disposant, « en plus », de certaines qualités, la rationalité notamment (l’homme comme animal rationnel). Heidegger affirme que c’est au contraire le vivant qui doit être envisagé de manière privative par rapport à l’homme, au Dasein. Par exemple, si cela fait partie de l’essence de l’homme d’avoir un monde, d’être-au-monde, alors on dira que l’animal est « pauvre en monde ».

 

Ce qu’il faut retenir

 

-         L’âme comme puissance d’organisation du corps : Pour Aristote, l’âme (anima) est ce qui anime le corps. Elle est puissance interne de production, d’organisation de l’être vivant. Aristote distingue l’âme végétative (génération, alimentation, croissance), l’âme sensitive (sensation, mouvement) et l’âme intellectuelle (pensée). Seul l’homme possède ces trois âmes.

 

-         Le finalisme : La conception aristotélicienne est finaliste, c’est-à-dire qu’elle pose qu’il n’y a pas de hasard dans la nature, que celle-ci obéit à un plan.

 

-         Le mécanisme : Dans la philosophie mécaniste, la nature est conçue comme une immense machine suivant des lois qui en expliquent la régularité. Descartes étend cette conception au vivant (hormis l’homme), défendant la célèbre thèse de l’animal-machine, selon laquelle les prétendues douleurs des animaux ne sont que des dysfonctionnements dans les rouages de la machine.

 

-         Le vitalisme : Le vitalisme est une conception s’opposant au mécanisme selon laquelle tous les organismes vivants sont doués d’une force vitale qui est principe, cause de tous les phénomènes de la vie dans le corps.

 

-         L’évolutionnisme : Lamarck est le précurseur de l’évolutionnisme en ce qu’il soutient le caractère héréditaire des modifications de l’organisme survenues en raison des adaptations des être vivants à leur milieu. Darwin pose les principes fondamentaux de l’évolution : la lutte pour la vie et la sélection naturelle. Il affirme que l’évolution est due à l’apparition « hasardeuse » de différences individuelles au sein d’une espèce, différences qui si elles fournissent un avantage pour l’adaptation au milieu et la survie, seront transmises aux générations suivantes, deviendront caractères héréditaires.

 

-         Théorie cellulaire et génétique : La théorie cellulaire découvre la présence d’un constituant ultime (la cellule) de tous les êtres vivants. La génétique quant à elle explique ce qui demeurait encore obscur chez Darwin, à savoir la transmission des caractères héréditaires. En laissant entrevoir la possibilité d’une sélection humaine du patrimoine génétique, elle pose de nombreuses questions éthiques.

 

-         Le concept de vie : Foucault montre que la volonté de comprendre ce qu’est la vie en son essence est propre à l’âge moderne. Elle naît à la fin du 18ème  siècle, notamment avec Bichat qui pense la vie comme l’ « ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».

 

-         La méthode expérimentale : Bernard a établi une méthode propre aux sciences du vivant. Cette méthode consiste en : 1) l’observation permettant de découvrir des faits nouveaux en tâchant d’éviter l’erreur, 2) la formulation d’hypothèses, d’idées a priori devant être soumise au contrôle des faits, 3) l’expérimentation comme établissement d’une expérience dont les résultats viendront confirmer ou infirmer l’hypothèse.

 

-         Le vouloir-vivre : Pour Schopenhauer, le vouloir-vivre est l’origine irrationnelle de toutes les forces actives se manifestant dans le monde, de tous les phénomènes. Le vouloir-vivre, qui nie le libre-arbitre, rend l’homme esclave de ses désirs, le livrant tout à tour à la souffrance (qui résulte d’un désir non satisfait) et à l’ennui (qui suit la satisfaction d’un désir).

 

-         La volonté de puissance : Nietzsche récuse toute conception de la vie fondée sur l’adaptation et la simple conservation. La vie est volonté de puissance, expansion, croissance. Elle est soumission, incorporation incessante de l’extériorité. Elle est devenir.En ce sens, toute vie qui se contente de se maintenir, se conserver, est une vie déclinante. Cette conception permet à Nietzsche de se livrer à une critique radicale de la société occidentale (de sa métaphysique, de ses idéaux, de sa morale) comme négation de la vie, comme vie malade.

Indications bibliographiques

 

Aristote, De l’âme ; Barthez, Éléments de la science de l’homme ; Bernard, La science expérimentale ; Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort ; Canguilhem, La connaissance de la vie ; Comte, Cours de philosophie positive ; Darwin, L’origine des espèces ; Descartes, Discours de la méthode ; Foucault, Naissance de la clinique ; Husserl, La crise des sciences européennes et la philosophie transcendantale ; La Mettrie, L’homme-machine ; Lamarck, Philosophie zoologique ; Nietzsche, La volonté de puissance ; Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation.