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L'inconscient - Cours de philosophie

L’inconscient

 

Les enjeux de la notion – une première définition

 

Si l’on affirme qu’il y a en nous des désirs, des impulsions, des mécanismes qui nous sont inconnus et inaccessibles car fondamentalement étrangers à notre conscience, alors c’est le projet même des philosophies de la conscience qui se trouve profondément remis en question. Car le présupposé fondamental de cette philosophie est que toutes nos activités psychiques peuvent être saisies réflexivement par la conscience, rien ne pouvant, en droit, échapper à celle-ci. Si dans les faits nous ne sommes peut-être pas conscients à tout moment de notre activité psychique, cela ne supprime aucunement la possibilité que nous le soyons. L’inconscient perturbe cette conception car il pose qu’il y a un autre de la conscience qui lui est totalement étranger. Cet inconscient, cela peut tout d’abord être un « infra-conscient » (et pourquoi pas un « supra-conscient »), composés de sensations trop faibles pour parvenir à la conscience (ou de réflexions qui vont au-delà de la conscience). Il peut être également composé des instincts ou des puissances de la vie, souvent liés à la nature corps de l’homme. Mais, et c’est là que se situe la découverte de Freud, l’inconscient peut-être conçu comme une entité psychique à part entière, ayant sa propre structure et son propre fonctionnement, et n’ayant donc  pas moins « droit de cité » dans le système psychique que la conscience.

 

L’inconscient dans la philosophie classique et moderne

 

« D'ailleurs il y a des marques qui nous font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et réflexion, i.e. des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que ces impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part, mais, jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l'assemblage. » Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain.

 

            C’est Leibniz qui le premier a démontré l’insuffisance de la conception cartésienne de la conscience (ou cogito). Pour Descartes, conscience et pensée étaient intrinsèquement mêlées dans le cogito de telle manière que tout ce que nous pensions nous en avions immédiatement conscience. Leibniz dissocie quant à lui pensée et conscience en affirmant que bien que nous pensions toujours nous ne sommes pas toujours conscients de ce que nous pensons. C’est le cas des petites perceptions qui le conduit à avancer cette thèse. Il faut distinguer celles-ci des aperceptions ou perceptions réfléchies, ces dernières étant ce que nous reconnaissons comme étant les perceptions que nous avons, ce dont on a proprement conscience. Comment puis-je avoir des perceptions et ne pas savoir que je les ai ? Il y a une première raison : j’ai certaines perceptions, mais y suis tellement habitué ou suis tellement captivé par autre chose que je les ignore. Leibniz affirme que nous sommes à tout moment assaillis par une infinité de perceptions ; une sélection parmi celles-ci est donc nécessaire. La seconde raison, que Leibniz développe plus amplement, est la suivante : il y a certaines perceptions en moi qui sont trop faibles pour parvenir à la conscience. Suivons l’argument de Leibniz en nous appuyant sur son exemple privilégié, celui du brut de la mer. Nous avons des petites perceptions de chaque vague, de chaque goutte peut-être ; ces perceptions s’agrègent (ou plutôt s’intègrent au sens mathématique car le modèle de Leibniz est le calcul intégral qu’il a découvert en même temps que Newton) formant ainsi des perceptions plus globales qui, si elles dépassent un certain seuil d’intensité, parviennent à la conscience. Autrement dit, si nous demeurons en deçà de ce seuil, nous n’aurons pas conscience du bruit de la mer mais nous n’en continuerons à en avoir des petites perceptions. Leibniz fait plus ici que limiter les pouvoirs de la conscience car il explique l’émergence de la conscience à partir de l’inconscient.

 

            Leibniz n’use pas explicitement du terme d’ « inconscient ». Ce sont les philosophes romantiques, au premier rang desquels Schelling, qui sont les premiers à le faire. L’inconscient est pour eux le fondement de la vie humaine en ce sens qu’il dévoile l’union de l’esprit et de la nature, une force qui dirige tout l’univers et se différencie donc de la conscience humaine. Schopenhauer quant à lui identifie l’inconscient à l’action chez l’homme de l’instinct sexuel et de l’instinct de conservation. L’inconscient est une volonté aveugle, non maîtrisée. On peut enfin citer Nietzsche pour qui la conscience n’est que l’effet de la lutte inconsciente des multiples instincts ou pulsions qui habitent le corps de l’homme.

 

Freud et la naissance de l’inconscient

 

Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique." Freud, Introduction à la psychanalyse.

 

            Cette brève présentation des prédécesseurs de Freud laisse entrevoir des sources d’influence possibles (en premier lieu Schopenhauer). Mais Freud va également puiser à une toute autre source, les travaux des psychiatres et médecins aliénistes (Janet, Ribot, etc.), principalement français, de la deuxième moitié du 19ème siècle. Les phénomènes psychopathologiques de la vie inconsciente découverts par eux (par exemple les dédoublements de personnalité) et expliqués en termes d’automatismes psychomoteurs ou encore de symptômes hystériques, vont profondément l’intéresser. Mais il va néanmoins considérablement transformer l’origine, le sens et la fonction des phénomènes inconscients et promouvoir l’inconscient lui-même en tant qu’entité du système psychique.

 

            Freud privilégiant une démarche scientifique (ses critiques de la philosophie sont souvent acerbes), il est nécessaire de situer sa découverte de l’inconscient dans les manifestations concrètes de celui-ci. C’est dans sa pratique de l’hypnose puis de l’association libre (parler de tout ce qui passe dans la tête sans effectuer de censure) que Freud découvre qu’il existe des mécanismes inconscients dont le sujet ne peut prendre connaissance. Mais comment le médecin ou psychanalyste pourrait-il lui-même parvenir à découvrir l’inconscient de son patient si cet inconscient demeure tapi derrière la conscience. C’est, dit Freud, que l’inconscient se dévoile dans les errements, les lacunes, les « ratés » de la conscience. D’où le privilège qu’il faut conférer à ces manifestations que sont le rêve (activité de symbolisation du psychisme), l’acte manqué (coupure à l’intérieur des mécanismes conscients) ou encore le mot d’esprit (présentation sous une forme « acceptable » de tendances sinon inavouables). Il faut ensuite trouver une méthode d’analyse, de décryptage de ces manifestations. Cette méthode, c’est la psychanalyse qui la donnera et qui la mettra en œuvre dans la cure psychanalytique s’appuyant sur le mécanisme du transfert. Avant de présenter plus en détail la conception freudienne de l’inconscient, signalons que les occasions de la percée de l’inconscient que nous avons énumérées suffisent à montrer que pour Freud, l’inconscient est une composante normale de la vie psychique de l’homme. Ajoutons ceci qu’il est absolument nécessaire pour Freud de bien distinguer les phénomènes inconscients des phénomènes latents ou préconscients qui eux sont susceptibles de devenir conscients.

 

            Dans la partie suivante, nous exposerons la conception freudienne de l’inconscient du point de vue de la structure de l’appareil psychique qui lui assigne une place précise. Mais Freud fait également un usage plus « descriptif » de l’inconscient dans lequel celui-ci désigne tout ce qui s’oppose à la conscience. C’est dans cette optique que nous allons brièvement présenter le « jeu » de la conscience (du moi) et de l’inconscient à travers quelques-uns ses mécanismes. Le plus célèbre est sans aucun doute le refoulement ; c’est un mécanisme de défense qui interdit aux représentations inconscientes menaçant l’intégrité du moi de pénétrer dans la conscience  (dans la répression, ces représentations sont repoussées après être passées par la conscience). Le retour du refoulé sera à l’origine des névroses. Un deuxième mécanisme est celui du compromis qui permet à un désir de s’exprimer tout en étant sévèrement condamné. C’est donc une double réponse à une situation psychique conflictuelle. Elle sera à l’origine de ce que Freud appelle clivage du moi. Citons enfin le mécanisme du déplacement par lequel le désir se détourne d’une représentation pour se fixer sur une autre représentation qui lui permettra d’être satisfait tout en perdant son caractère de dangerosité. Freud précise cependant que le déplacement ne peut jamais annuler totalement la tension initiale.

 

Situation de l’inconscient dans l’appareil psychique

 

"L'inconscient est le psychique lui-même et son essentielle réalité. Sa nature intime nous est aussi inconnue que la réalité du monde extérieur, et la conscience nous renseigne sur lui d'une manière aussi incomplète que nos organes des sens sur le monde extérieur." Freud, L’interprétation des rêves.

 

            Analysons à présent la place occupée par l’inconscient dans la structure du système psychique décrite par Freud, sa topique, en commençant par signaler que le mot de « topique » (topos signifie « lieu ») suppose une répartition des éléments selon une métaphore spatiale. Il y a en réalité deux topiques, Freud ayant profondément remanié son système à partir des années 1920. Dans la 1ère topique, sont distingués le conscient, le préconscient et l’inconscient (on peut également y ajouter la censure). L’inconscient est comme la partie immergée de l’iceberg qu’est l’appareil psychique. C’est le lieu des représentations refoulées, au premier rang desquels les désirs de l’enfance, qui n’ont pu pénétrer le préconscient ou le conscient, le lieu aussi des fantasmes originels (supra-individuels). Le système inconscient enregistre de plus les excitations provenant des pulsions qui elles-mêmes échappent à l’opposition conscient-inconscient. L’inconscient est indifférent à la réalité, il ne connaît ni doute ni négation, il méprise la logique et l’ordre. C’est un flux d’énergie cherchant une expression immédiate. Il est soumis uniquement au principe de plaisir.

 

            Dans la 2ème topique, l’inconscient n’est plus considéré comme une partie du système. Celui-ci se divise à présent en ça, moi et surmoi. Ce n’est bien entendu pas dire que l’inconscient a disparu de la pensée freudienne (!) mais simplement que c’est devenu une qualité, un adjectif qui qualifie avant tout le ça mais aussi, pour une part du moins, le moi et le surmoi. Le ça est le pôle des pulsions ; il est la source à laquelle puise la libido ; c’est l’instance primitive par rapport à laquelle vont se détacher le moi et le surmoi. Ajoutons que le mot « ça » indique bien le caractère impersonnel de cette instance. Il y a de grandes similitudes entre le ça et l’inconscient de la première topique. Cependant, et comme nous l’avons indiqué, l’inconscient n’est pas propre au ça ; les processus de défense du moi sont par exemple inconscients ; une autre différence s’établit au niveau du rapport au biologique car les relations du ça à l’organisme sont bien plus étroites que celles de ce dernier avec l’inconscient.

 

Au-delà de Freud – développements et critiques

 

            Consacrons nous à certains développements de la pensée de l’inconscient en psychanalyse qui sont l’œuvre de contemporains ou de successeurs de Freud. Dans Malaise dans la civilisation, Freud s’était intéressé aux analogies entre le développement psychique de l’individu et le développement de la société. Mais alors, il continuait à penser le second sous le modèle du premier sans qu’il y ait véritablement interaction entre eux. Jung va quant à lui traiter cette question en profondeur en théorisant l’inconscient collectif. Celui-ci résulte du transfert d’une génération à l’autre de certaines expériences humaines et ce depuis les premiers ancêtres. Il est composé d’archétypes évoqués sous forme d’images et de symboles, dans les légendes, les rêves, etc. Ces archétypes sont fondamentaux pour l’homme. Bien que Jung ait pris soin de dire que ce n’étaient pas les représentations elles-mêmes qui étaient héréditaires mais la capacité à évoquer ou sélectionner certaines représentations du « patrimoine représentatif », il n’en reste pas moins que sa conception a pu être profondément critiqué et dénoncée comme obscure. Elle a cependant suscité des réflexions originales par exemple chez le psychiatre martiniquais Fanon qui, prenant pour objet d’étude le monde colonial et plus précisément les relations entre colonisateur et colonisé, a repris la notion d’inconscient collectif en la définissant comme un ensemble d’attitudes et de préjugés communs issus des discours et modèles culturels et éducatifs. L’inconscient collectif n’est plus une structure héréditaire mais la conséquence pour chacun de l’intériorisation (l’introjection) des réalités sociales. Citons brièvement une autre transformation du concept freudien d’inconscient, celle qu’opère Lacan. Participant de la « vague » structuraliste visant à fonder les sciences humaines sur le modèle du langage (tel qu’il était théorisé dans la linguistique de Saussure), Lacan suit Freud pour dire que l’inconscient ne respecte pas les lois logiques et temporelles, mais ajoute qu’il n’en est pas moins structuré comme un langage. L’inconscient c’est l’ « autre scène » où « ça parle ». Les mécanismes de l’inconscient sont alors les mécanismes linguistiques de la métaphore, de la métonymie, etc.

 

            Venons-en à présent aux critiques de la conception freudienne de l’inconscient. Sans aucunement prendre parti, on peut juger que beaucoup des critiques les plus acerbes furent des critiques « réactives » visant avant tout la prétention de Freud à destituer la conscience de son piédestal ou dénonçant tout simplement le phénomène de « mode » que fut la psychanalyse. Sartre propose lui une véritable alternative à la psychanalyse en défendant ce qu’il appelle une psychanalyse existentielle. Ce que Sartre reproche à Freud c’est d’avoir fait de l’inconscient une substance, une entité à part, un autre moi qui est étranger à la conscience. Ainsi, écrit Sartre, Freud laisse libre cours à la mauvaise foi en ignorant
 le fardeau de la liberté, c’est-à-dire la nécessité du choix. Il y a bien un inconscient, mais celui-ci n’est rien d’autre que les empreintes de nos expériences, de notre vécu, de ce qui nous a formé et dont nous pouvons ne pas avoir connaissance. Il y a une autre critique de l’inconscient et plus généralement de la psychanalyse qui vise sa scientificité (à laquelle Freud tenait beaucoup), c’est la critique de l’épistémologue Popper. En effet, pour Popper, une théorie est scientifique lorsqu’elle peut être mise à l’épreuve empiriquement, être réfuté. La psychanalyse ne satisfait pas à cette condition tout simplement parce que l’inconscient est inaccessible (si ce n’est dans la cure qu’on ne peut considérer comme un lieu valide d’expérimentation). Plus encore, elle tend à interdire toute réfutation en jugeant les critiques qu’on pourrait lui faire comme des résistances inconscientes de leurs auteurs ! Évoquons pour finir un dernier type de critiques qui cette fois visent la prétendue originalité ou nouveauté de la théorie freudienne. Une telle critique a été développée par Foucault, lui-même influencé par Heidegger qui s’est opposé avec virulence à la psychanalyse (sans pour autant étayer sa critique) parce que celle-ci restait profondément ancrée dans la tradition métaphysique avec laquelle il voulait rompre. Foucault cherche à montrer que la connaissance psychanalytique s’enracine dans un système de connaissances (épistème) datant de la fin du 18ème siècle (et, selon lui, prêt à s’éteindre) et dont l’objet est une vérité qui est toujours vérité de l’homme et vérité sur l’homme (une anthropologie philosophique). 

 

Ce qu’il faut retenir

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-         Les petites perceptions (Leibniz) : Il y a en nous une infinité de perceptions. Beaucoup d’entre elles ne pénètrent pas la conscience soit parce que celle-ci est accaparée par d’autres perceptions soient parce que leur combinaison ne parvient pas à dépasser le seuil d’intensité qui nous les rendrait conscientes.

 

-         L’inconscient freudien : Le rêve, l’acte manqué, le mot d’esprit manifestent l’existence de l’inconscient. Celui-ci n’est pas un « défaut »,   mais fait partie de la vie psychique « normale ». Les contenus inconscients ne peuvent jamais parvenir à la conscience (sauf dans la cure psychanalytique) et se distinguent ainsi des contenus préconscients. La conscience (le moi) dispose de mécanismes de défense contre la menace que représente l’inconscient : le refoulement, la formation de compromis, le déplacement, etc.

 

-         L’inconscient dans l’appareil psychique : Freud a donné deux représentations (topiques) successives du système psychique : « conscient – préconscient – inconscient » puis  « ça – moi – surmoi ». Dans la première l’inconscient est une entité, dans la seconde c’est un adjectif qui qualifie intégralement le ça mais pour une part aussi le moi et le surmoi. L’inconscient (le ça) est le lieu des représentations refoulées, des fantasmes, des pulsions. Il est rebelle à la logique, à l’ordre, à la réalité et vise une satisfaction immédiate.

 

-         L’inconscient collectif: Il y a selon Jung une transmission, de génération en génération d’archétypes psychiques, évoqués sous la forme de symboles et d’images. Cette conception héréditaire a été critiquée et parfois remplacée par une conception de l’inconscient collectif comme intériorisation des réalités économiques et sociales.

 

-         Les critiques de l’inconscient : Sartre a refusé le geste freudien faisant de l’inconscient une substance, un autre moi car cela revenait, selon lui, à évacuer la question fondamentale de la liberté. Popper a nié le caractère scientifique de la psychanalyse, l’inconscient ne se laissant pas découvrir par expérimentation. Foucault a remis en question l’originalité de la psychanalyse en montrant comme elle se rattachait à un système de pensée vieux de deux siècles.

 

Indications bibliographiques

 

Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique ; Freud, Abrégé de psychanalyse, Introduction à la psychanalyse, L’interprétation des rêves, Le moi et le ça ; Leibniz, Nouveau essais sur l’entendement humain ; Sartre, l’être et le néant – essai d’ontologie phénoménologique ; Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation.