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Le langage - Cours de philosophie

Le langage

 

Les enjeux de la notion – une première définition

 

            Si nous voulions définir communément ce qu’est le langage, probablement dirions-nous qu’il est un véhicule des pensées, des émotions. Ainsi, nous insisterions sur sa dimension de moyen (en vue d’une fin), d’instrument, ou encore d’outil de communication. Quelle que soit la fonction qu’on assigne au langage, on assume qu’il est postérieur aux pensées et émotions dont il est l’expression. Une telle conception n’est pas simplement une opinion ; elle a été très largement partagée par les philosophes et savants de tout temps. Mais ceux-ci n’en reconnaissent pas moins les pouvoirs du langage (et pour certains de l’écriture) : le langage est ce qui permet d’organiser les pensées, d’avoir des idées générales, de procéder à l’abstraction, de classer les choses ou encore de persuader, d’agir sur les autres, etc. Certes, on est dans le droit de penser que le langage est imparfait, qu’il ne permet pas à la pensée de parfaitement se déployer, ou pire encore, qu’il la fige. Mais ce que l’on espère alors ce n’est non pas de trouver un substitut au langage mais de pouvoir réformer celui-ci, le transformer ; par là même devrait pouvoir être déduit ceci que le langage est une condition de la pensée. Mais ne peut-on pas être alors conduit à dire que la pensée s’identifie au langage voire que le langage précède la pensée et la détermine, que celle-ci n’est que l’expression des possibilités du langage ? Et n’en va-t-il pas de même pour les autres dimensions de l’existence humaine et notamment la culture ? Les auteurs que nous allons à présent étudier nous donneront des éléments de réponse.

 

Le langage et les choses

 

"Et de même que l'écriture n'est pas la même chez tous les hommes, les mots parlés ne sont pas non plus les mêmes, bien que les états de l'âme dont ces expressions sont les signes immédiats soient identiques chez tous, comme sont identiques aussi les choses dont ces états sont les images." Aristote, De l’interprétation.

 

            Débutons notre enquête en nous intéressant à la philosophie antique. On peut affirmer que la « philosophie du langage » des Grecs naît après la rupture avec la conception de Démocrite qui envisageait le langage comme quelque chose de purement conventionnel. Le fait qu’un même nom puisse définir des choses différentes ou qu’une même chose puisse être défini par des noms différents dévoilait que le lien entre le langage et les choses ne pouvait être qu’une institution humaine. Platon et Aristote vont rompre avec cette conception en affirmant la puissance des liens entre la structure du langage et l’être des choses. Selon, Platon, un pur conventionnalisme obligerait à penser que n’importe quel nom parviendrait à désigner une chose donnée. Or l’usage du langage nous montre au contraire qu’il y a des usages qui sont corrects et d’autres qui ne le sont pas. Il expose par la suite une thèse naturaliste posant que l’usage d’un nom est correct quand il est l’incarnation d ‘un « nom idéal » qui appartient à la chose elle-même. Platon affirme également que le fait qu’il y ait des mots généraux (ex : « homme ») qui s’appliquent à plusieurs individus manifeste qu’il existe une Idée unique dont participent ces individus singuliers (il est nécessaire de se rappeler ici que pour Platon, les idées sont des êtres réels ; il y a un monde des idées). Aristote lui aussi s’appuie sur la forme et les propriétés du langage pour en déduire des thèses ontologiques. Ainsi, il observe que, dans la langue, les adjectifs et les verbes n’ont pas d’autonomie, au contraire des substantifs (« beau » ou « pense » ne désignent rien s’il ne sont pas accompagnés d’un sujet, tandis que « Aristote » ou « table » désignent bien quelque chose). De là, il en conclut à la priorité des substances sur les qualités et les actions. On peut enfin s’intéresser à la théorie du langage élaborée par les stoïciens. Ceux-ci distinguent cinq parties dans le discours : les noms (ex : « Socrate »), les verbes, les appellations (ex : « cheval »), les conjonctions (ex : « et ») et les articles. Ils ont de plus donné lieu à la célèbre doctrine du lekton (qu’on a parfois traduit par le « dicible » ou l’ « exprimable »). Le lekton se distingue à la fois du signe (par exemple un « son » prononcé) et de la chose extérieure à laquelle se réfère ce même signe. Il correspond plus ou moins à ce qui, dans la linguistique moderne, est appelé le signifié.

 

            Venons-en à présent à la philosophie médiévale qui, dans le domaine des questionnements sur le langage, a joué un rôle fondamental. Les médiévaux ont considéré la logique comme une science du langage et ont porté une attention particulière aux langues naturelles. Ils se sont intéressés notamment aux questions de l’ambiguïté des langues et à l’usage des termes syncatégorématiques, c’est-à-dire des termes n’ayant pas de signification en eux-mêmes (« si », « tous ») à la différence des termes catégorématiques, à savoir les noms, adjectifs, etc. Ils ont également étudié les paradoxes qui naissent de l’usage du langage, notamment le paradoxe du menteur qu’on peut énoncer simplement ainsi : si je dis « je mens » alors si ce que je dis est vrai c’est faux car je mens, et si c’est faux alors c’est vrai car je ne mens pas. La théorie la plus célèbre des médiévaux est celle de la suppositio, c’est-à-dire de l’interprétation d’un terme dans un contexte donné. La suppositio est dite impropre lorsqu’elle renvoie à un emploi métaphorique, métonymique, etc. du terme. Lorsqu’elle est propre, elle se réfère alors soit à la chose en dehors du langage (« Jean habite à Paris ») soit à l’entité linguistique elle-même (« Jean a 4 lettres »). Dans le premier cas, on parle de suppositio formalis, dans le second de supositio materialis. N’allons pas plus dans cette très riche théorie et contentons-nous de souligner que la distinction présentée ci-dessus a été « retrouvée » dans la philosophe moderne pour distinguer entre langage et métalangage, le premier portant sur les choses, le second portant sur le langage lui-même.

 

Le langage comme manifestation de la pensée

 

« J’ai le projet d’une langue ou écriture universelle qui (…) outre l’usage du commerce et la communication des peuples divers (ce qui la pourrait même rendre plausible au vulgaire), aurait des avantages incomparablement plus grands : car elle donnerait moyen de raisonner sur les matières capables de raisonnement par une espèce de calcul infaillible pourvu qu’on y apportât la même exactitude qu’à chiffrer, et les erreurs ne seraient que des erreurs de calcul. » Leibniz, Lettre à Jean-Frédéric (février 1679)

 

            Ainsi que nous le signalions en introduction, le langage a souvent été considéré comme un pur véhicule de la pensée, etc. Cela est particulièrement évident dans la philosophie classique. Prenons par exemple la conception Descartes. Celui-ci procède d’une certaine manière à une définition « négative » du langage (il emploie le mot « parole ») en ce sens qu’il retranche de celui-ci tout ce qui pourrait être attribué aux animaux, tout ce qui relève de la passion (ex : joie et tristesse) ou encore ce qui pourrait être l’objet d’un apprentissage par un animal (cf. l’exemple typique du perroquet). Il affirme que le langage défini ainsi est le propre de l’homme. Notons que selon lui les sourds comme les fous ont un langage puisque les premiers inventent des signes pour communiquer tandis que les seconds usent bien du langage même si c’est sans s’appuyer sur la raison. Mais Descartes fait-il ici autre chose d’autre que rabattre le langage sur la pensée, en adaptant sa définition à celle-ci ? Le langage n’est rien d’autre que la manifestation ou l’extériorisation de la pensée. Traiter du langage n’a donc pas d’autres fonctions que d’être un fait empirique qui rend évident la supériorité de l’homme sur l’animal. Une telle relégation au second plan du langage se retrouvera chez de nombreux philosophes, de Spinoza à Kant.

 

            Considérons à présent la conception de Locke, conception devenue classique. Locke affirme que les mots renvoient aux idées dans l’esprit de celui qui parle, ils en sont les signes, ou encore les marques sensibles. Leur fonction est essentiellement de communication. Ils permettent d’échanger les « idées invisibles » qui sans cela demeureraient purement privées ; or cet échange permet de profiter des « avantages et commodités » de la société. On comprend bien qu’ici encore il y a antériorité de la pensée sur le langage qui n’en est que le véhicule. Berkeley va insister quant à lui sur les dangers du langage, sur ce qu’il appelle le voile des mots. Le langage peut s’autonomiser en ce sens qu’il peut faire passer pour des choses existantes dans le monde ce qui n’est qu’entité verbale. Le langage a une puissance de généralisation ; le mot « bleu » par exemple permet de désigner tous les objets bleus. Le risque devient alors de croire que ces idées abstraites existent concrètement dans le monde. Ajoutons néanmoins qu’au-delà de cette critique, Berkeley a fourni une théorie originale du langage en insistant sur sa fonction pratique : le langage peut par exemple servir à provoquer certaines émotions chez l’interlocuteur.

 

Leibniz prolonge le questionnement ; en effet, si le langage est un instrument de la pensée ou de la raison et puisque celle-ci est la même chez tous les hommes, puisqu’elle est universelle, alors on peut penser qu’il est possible de substituer à la multiplicité des langues particulières qui n’exprime qu’imparfaitement la pensée, une langue universelle. Telle est le projet de Leibniz lorsqu’il propose sa caractéristique universelle, un alphabet symbolique à partir duquel le raisonnement s’effectuerait comme calcul. Ainsi, les erreurs ne résideraient plus dans le langage lui-même mais ne seraient rien d’autre que des erreurs de calcul. De plus cette langue serait apprise très rapidement par tout homme car elle ne serait rien d’autre que l’expression parfaite de sa pensée. Ajoutons que les idées de Leibniz auront eu une belle postérité dans la philosophie moderne, tout particulièrement dans la logique.

 

            Évoquons enfin Rousseau. Celui-ci cherche à montrer que l’origine du langage humain réside dans les passions. Rousseau affirme que l’homme ne commence pas par raisonner mais par sentir. Il critique ensuite la conception selon laquelle le langage serait né de la nécessité pour l’homme d’exprimer ses besoins, car, dit-il, les besoins écartent les hommes plutôt qu’ils ne les rapproche. Il en vient alors à poser que la source du langage est la vie passionnelle. L’amour, la haine, la pitié, la colère, etc. appellent le langage, celui se manifestant primitivement sous la forme de cris, de plaintes, etc.

Le langage comme condition de la pensée et de la culture

 

« Par la langue, l’homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque société. La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C’est en définitive le symbole qui noue ce lien vivant entre l’homme, la langue et la culture. » Benvéniste, Problèmes de linguistique générale.

 

            Pour Hegel, il n’y a pas de pensée sans langage. En effet on ne peut à proprement parler de pensées que lorsque ces pensées ont une forme objective, c’est-à-dire lorsqu’une certaine extériorité manifeste ce qui est purement intérieur. Cette extériorité, c’est le mot. Croire que ce qu’il y a de plus haut c’est ce qui ne peut pas se dire, l’ineffable, est absurde. Quant au fait que le langage menace sans cesse de faire perdre de vue la chose à connaître, ceci ne manifeste rien d’autre qu’une pensée encore imparfaite et aucunement un « vice » inhérent au langage. La vraie pensée est le mot même. Nietzsche, qui de formation n’est pas philosophe mais philologue, affirme la « toute-puissance » du langage. Selon lui, le langage suit originellement la tendance de l’homme à ramener l’inconnu, le différent, au connu, au Même (cette tendance reposant sur des passions dominantes ; notamment la crainte du danger potentiel que représente tout ce qui est nouveau). Le moi ou sujet est ainsi un exemple d’une de ces (pseudo)-entités simples qui masquent une diversité inquiétante (ici, la lutte entre les multiples instincts qui habitent l’homme). Ce qui nous importe ici, c’est que le langage qui se forme en même temps que la psychologie primitive en vient à exercer sa domination sur la pensée, à diriger celle-ci, à l’enfermer dans ses catégories. C’est ce que Nietzsche appelle la métaphysique de la grammaire. C’est pourquoi il peut affirmer : « Je crains que nous ne puissions nous débarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire. »   

 

Heidegger se livre à une critique de la métaphysique et entend penser en dehors d’elle. Il remarque peu à peu qu’il ne pourra le faire qu’à condition d’abandonner le langage de la métaphysique qui est aussi celui de l’expérience quotidienne, de ce qu’il appelle le « on ». Ce langage est un langage qui a une fonction purement instrumentale d’objectivation et de représentation des étants. Le langage de la métaphysique enferme, fige les étants au lieu de les laisser être en les dévoilant. C’est pourquoi Heidegger se tourne vers le langage de la poésie (notamment celle Hölderlin). Or, la poésie révèle que l’homme ne possède pas la langue comme un outil parmi les autres mais, qu’au contraire, il baigne d’emblée dans l’élément de la langue. Ainsi, il est impossible de dire qu’il dispose de la langue car c’est la langue qui dispose de lui. Similairement, Merleau-Ponty va s’opposer à la conception commune selon laquelle il y aurait en premier lieu une reconnaissance, une perception par exemple, de la chose qui appellerait ensuite le langage, la dénomination. Pourquoi, écrit-il, nos pensées elles-mêmes paraissent-elles tout à fait indéterminées tant qu’elles n’ont pas été formulées. Merleau-Ponty prend l’exemple de l’écrivain qui lorsqu’il commence son livre ne sait pas avec une précision absolue ce qu’il va y écrire, l’acte même de l’écriture développant au contraire les pensées. Lorsque je dis « c’est un stylo », il ne faut pas croire que j’ai dans l’esprit un concept préexistant de stylo sous lequel viendrait sagement se ranger, grâce à la dénomination, ce stylo particulier. Au contraire, en nommant un objet, je l’atteins directement, sans la médiation d’une « idée » existant séparément. Pensez ici à l’enfant pour qui un objet n’est connu que lorsqu’il est nommé. Le langage n’est donc pas postérieur à la reconnaissance d’une chose, il est cette reconnaissance même.

 

On a ainsi pu voir qu’il était possible de considérer le langage comme une condition de la pensée et même d’identifier pensée et langage. Mais n’en va-t-il pas de même des rapports entre le langage et la culture en général ? Von Humboldt défend ainsi la thèse que le langage est ce qui rend possible la formation par l’homme d’un monde conceptuellement articulé dans lequel viennent prendre place toutes ses activités. Le monde des sons du langage est ainsi une certaine manière d’assimiler le monde des objets, de se l’approprier, de le « maîtriser ». Cassirer va prolonger cette idée en affirmant que c’est par la médiation de formes symboliques, au premier rang desquels le langage, que l’homme développe un monde proprement humain, un monde de la culture qui produit l’art, le mythe, la science, etc. Cette idée d’un rapport essentiel de la langue et de la culture est notamment reprise par des linguistes tel que Benvéniste. Il rappelle, d’une part, que le langage se réalise toujours dans une langue, autrement dit dans une société singulière et, d’autre part, que la société ou culture, en tant que système organisé de représentations régi par des codes (religion, lois, etc.) nécessite pour fonctionner le langage. Il y a donc coextensivité de la culture et du langage. C’est autour de la notion essentielle du symbolique que se noue « ce lien vivant entre l’homme, la langue et la culture ». Certains auteurs ont désiré pousser cette thèse jusqu’à ses limites extrêmes en posant que chaque langue déterminerait une vision du monde singulière chez ses locuteurs. On pourrait ainsi prendre l’exemple de la langue espagnole qui possède trois mots distincts, « lena », « madera », « bosque », pour désigner ce que nous français désignons à l’aide du seul mot « bois », et en inférer que c’est la conception ou la perception même de cette (ces) chose(s) qui est différente. Cette hypothèse contestée a été dénommée « hypothèse Sapir-Whorf » du nom de ses auteurs.

 

Le langage comme fondement – linguistique, structuralisme et philosophie analytique

 

« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait. » Saussure, Cours de linguistique générale

 

            Tant que l’on considérait le langage comme simple instrument ou véhicule de la pensée, et plus encore comme véhicule imparfait, ne pouvait naître le désir d’une étude de la structure des langues, de leur fonctionnement, de leurs propriétés, etc. De ce point de vue, la linguistique effectue des avancées considérables. Notons que la linguistique différencie nettement langue et langage. La langue est une réalisation particulière de la faculté du langage ; c’est un produit social, un ensemble de conventions. L’une des thèses majeures du fondateur de la linguistique moderne, Saussure est que le signe linguistique est arbitraire. Par exemple l’idée « sœur » n’a aucun rapport intérieur avec la suite de sons qui composent le mot. Autrement dit le signifiant (le signe linguistique) est immotivé à l’égard du signifié (l’idée). Il ne faut cependant pas se méprendre sur le sens de cette thèse. Elle ne dit pas qu’un locuteur d’une langue peut choisir librement les signifiants. Une fois que ceux-ci sont établis dans la langue, il n’est plus au pouvoir des individus de décider arbitrairement de faire usage de tel ou tel mot. Une autre thèse essentielle, qui suit de la précédente, est que le langage n’est pas une copie de la réalité. Nous avons vu que le signe linguistique réunissait deux entités, le signifiant et le signifié (comme les deux faces d’une même pièce de monnaie). Mais il faut bien comprendre que le signifié, ce n’est pas la chose extérieure, le référent, mais une idée ou un concept. Le lien du mot à la chose ne présente pas la simplicité qu’on aimerait lui reconnaître. A partir de là, on comprend que Saussure affirme qu’il faille étudier la langue en elle-même, dans son fonctionnement interne, c’est-à-dire comme système ou structure sans faire intervenir d’objets extérieurs, choses du monde, psychologie du locuteur, etc. C’est en demeurant fidèle à cette exigence que Saussure  développe ce qu’on appelle la thèse structuraliste. Elle pose qu’il est impossible de définir un signe linguistique par une quelconque propriété interne, une essence. Au contraire, chaque signe ne se définit que par différence avec les autres signes. La langue est un système de différences suivant des lois de transformations. 

 

            L’hypothèse structuraliste va connaître un succès retentissant dans toutes les sciences humaines. Les structuralistes (Barthes, Lacan, Lévi-Strauss et dans une moindre mesure Foucault) cherchent ainsi à décrire les phénomènes (textuels, sociaux, inconscients) en explicitant la place qu’ils occupent dans un système, c’est-à-dire en étudiant les relations, les associations et les différenciations de ce phénomène avec les autres phénomènes en fonction des règles qui régissent l’organisation et les évolutions du système. C’est ainsi qu’en psychanalyse, Lacan affirme que l’inconscient est structuré comme un langage. Mais c’est Lévi-Strauss qui est l’auteur de l’ « importation » des théories linguistiques en sciences humaines, en l’occurrence en ethnologie. Il montre ainsi que les processus culturels proviennent de structures fondamentales qui demeurent inconscientes. Comprendre une institution, un mythe, etc. cela consistera donc à pénétrer la structure symbolique qui lui est sous-jacente et que les représentations et paroles des acteurs ne pourront jamais parvenir à révéler. Pour prendre un exemple, si l’on désire rendre compte de l’universalité de certaines pratiques humaines, il ne faut pas s’intéresser aux ressemblances apparentes mais à l’invariance de certaines relations (et non des choses elles-mêmes) entre les variables à l’intérieur des différents systèmes.

 

            On ne saurait clore cette brève recension des théories du langage sans évoquer la philosophie analytique, principalement anglo-saxonne. Il est impossible ici de proposer une présentation adéquate de cette philosophie dans laquelle le langage (et notamment le langage ordinaire) joue un rôle essentiel. Nous contenterons donc de nous référer à deux auteurs majeurs, Wittgenstein et Austin. Dans un premier temps, Wittgenstein s’intéresse à déceler sous les langages ordinaires la présence d’une structure logiquement idéale. Mais il va changer radicalement de perspective en affirmant que ce langage idéal n’est qu’une illusion. Il n’y a pas de structure essentielle du langage. Celui-ci n’est rien d’autre que la réunion de multiples pratiques langagières, appelés jeux de langage possédant chacun ses propres règles, ses propres possibilités, ses « coups » permis ou interdits à l’instar par exemple du jeu d’échec. Le fait de nommer quelque chose pour en donner une définition ostensive (ex : « ceci est un âne ») n’est aucunement, contrairement à ce qu’ont pensé de nombreux philosophes, la forme première du langage. C’est un jeu de langage parmi les autres, jeu de langage qui se différencie par exemple de celui consistant à donner un ordre, ou encore à exprimer à souhait. Venons-en à Austin qui a développé (avec son élève Searle) la théorie des actes de langage. Selon lui, parler ce n’est pas (du moins la plupart du temps) simplement dire quelque chose mais agir sur son environnement, sur les autres. On parle ainsi pour inciter, persuader, demander, exiger, etc. Dans ces cas, on pourrait dire que l’acte n’est pas encore entièrement dans la parole puisque l’effet désiré peut ne pas se produire. Mais qu’en est-il lorsque l’on dit « Je te promets » ? Certes, la promesse peut ne pas être tenue, mais tout l’engagement repose pourtant dans l’énonciation. Plus évidemment encore, une phrase telle que « Je vous marie » est en elle-même l’acte qu’elle désigne. La langue n’est donc pas uniquement faite d’énoncés constatatifs mais également d’énoncés performatifs.

 

Ce qu’il faut retenir

 

-         Le langage et les choses : La structure du langage révèle la structure de la réalité (Platon, Aristote). Ainsi, si nous possédons un mot unique qui s’applique à plusieurs choses singulières (ex : « beau »), c’est qu’existe une idée (pour Platon, une idée est un être réel) auquel participent toutes ces choses. Quant au fait que certains mots, les substantifs, désignent quelque chose lorsqu’ils sont proférés seul (ex : « Aristote ») tandis que d’autres, les adjectifs, verbes, etc. non (ex : « grand »), cela prouve la priorité ontologique des substances sur les qualités et actes.

 

-         Le langage, un instrument de la pensée : Il est possible de considérer le langage comme pur vecteur de la pensée. Les mots peuvent ainsi être définis comme des signes des idées (Locke) résidant dans l’esprit, signes dont la communication permet la vie en société. Il est également possible que l’origine du langage réside dans la nécessité d’exprimer les passions (amour, haine, etc.), le langage étant ainsi primitivement composé de cris, de plaintes, etc. On peut aussi souligner les dangers que représente l’usage du langage (Berkeley) en insistant sur sa puissance de généralisation qui conduit à prendre les idées abstraites (ex : le « rouge ») pour des idées concrètes. Ceci peut conduire à désire réformer le langage, à pallier à son imperfection en inventant un langage universel fonctionnant dont l’usage repose sur un calcul rationnel (Leibniz).

 

-         Le langage, condition de la pensée et de la culture : On peut penser qu’il n’y pas de pensée sans langage, si la pensée n’est que l’extériorisation de quelque chose qui, tant qu’il reste purement intérieur, demeure indéterminé (Hegel). On peut également affirmer que les catégories du langage, la « métaphysique de la grammaire », dominent la pensée, et que l’homme est condamné à répéter les mêmes erreurs, à propager les mêmes illusions tant qu’il croira au langage (Nietzsche). Il est aussi possible de remettre en cause le statut instrumental du langage métaphysique (et usuel), sa fonction de représentation objective des choses, et se confier dès lors au langage poétique qui n’est pas un langage dont dispose l’homme mais qui au contraire, dispose de l’homme (Heidegger). Cette reconnaissance des pouvoirs du langage sur la pensée s’étend à la culture dans son intégralité. Le langage permet à l’homme de construire un monde conceptuellement structuré à l’intérieur duquel prennent place ses activités (Von Humboldt). Plus généralement, si le langage se réalise toujours dans une langue singulière et si toute culture en tant que système régi par des codes, nécessite le langage, il est alors possible d’identifier langage et culture (Benvéniste).

 

-         Le langage comme fondement : A partir du moment où l’on ne considère plus le langage comme un moyen en vue d’une fin (la communication des pensées), il devient intéressant d’étudier sa réalisation dans des langues singulières. Tel est l’objet de la linguistique. Celle-ci prétend expliquer la langue en elle-même, comme système ou structure, c’est-à-dire indépendamment des choses extérieures, de la subjectivité du locuteur, etc. La langue peut alors être définie comme un système de différences entre signes linguistiques (ceux-ci n’ayant pas par eux-mêmes d’essence propre), système possédant ses propres lois d’organisation et de transformation (Saussure). Cette conception de la structure peut valoir dans d’autres champs des sciences humaines : l’inconscient psychanalytique est dit structuré comme un langage (Lacan) ; les processus culturels renvoient à une structure sous-jacente et inconsciente, irréductible donc aux représentations que s’en font les acteurs (Lévi-Strauss).Étudier le langage, ce peut être aussi manifester la multiplicité des jeux de langage qui le composent, chacun d'eux possédant ses propres règles, ses possibilités : le jeu de langage de l’ordre par exemple diffère de celui du souhait (Wittgenstein). On peut enfin insister sur la dimension performative du langage en montrant que certaines énonciations, telles que « Je vous marie », sont en elles-mêmes des actes (Austin).

 

Indications bibliographiques

 

Aristote, De l’interprétation ; Austin, How to do things with words ?, Benvéniste, Problème de linguistique générale ; Berkeley, Principe de la connaissance humaine ; Cassirer, La philosophie des formes symboliques - t.1 Le langage ; Hegel, Philosophie de l’esprit ; Heidegger, Approches de Hölderlin ; Locke, Essai sur l’entendement humain ; Lévi-Strauss , Anthropologie structurale ; Platon, Cratyle ; Rousseau, Essai sur l’origine des langues ; Saussure, Cours de linguistique générale ; Wittgenstein, Recherches philosophiques.